Interview de Jean-Yves Goar
Le regard est toujours attiré par la nudité, quitte à s’en détourner aussitôt. Gaspard Noël en sait quelque chose puisqu’il paraît souvent totalement nu dans ses oeuvres photographiques, parfois seul, parfois démultiplié. Et pour autant, loin de tout narcissisme et de tout exhibitionnisme. Rencontre avec un jeune papa dont le corps omniprésent dans ses compositions n’en est jamais l’objet principal.
JEAN-YES GOAR : Gaspard Noël, la mention « en présence de l’artiste » n’est jamais aussi vraie qu’avec vous puisque vous figurez dans chacune de vos photographies. Pourquoi avoir choisi l’autoportrait comme mode d’expression ?
GASPARD NOËL : Parce que je suis présent sur mes photos, on peut techniquement les appeler autoportraits. Mais je ne fais qu’y figurer, c’est la nature qui occupe la première place. J’ai commencé à en photographier la beauté très jeune. Je voyageais avec ma famille, que je plaçais dans mes clichés, il n’y avait pas d’autoportrait. Jusqu’au moment où j’ai commencé à réaliser tant d’images que ma famille en a eu assez de poser. Alors il a bien fallu que je prenne le relais pour continuer ce que j’avais entrepris (rires). Ce n’était pas un choix mais plutôt une nécessité qui s’est avérée être une bénédiction, car il est beaucoup plus facile d’être son propre modèle que de photographier les autres.
Pourquoi poser nu ?
GN : J’ai posé vêtu jusqu’en 2012, je créais des personnages loufoques qui parsemaient mes photos. Lors d’un voyage en Écosse, la beauté du paysage m’a abasourdi et j’ai quitté mes vêtements pour faire corps avec la nature. Ainsi ont vu le jour mes premiers nus et le début d’une démarche que j’ai mis un certain temps à oser montrer.
Vous travaillez seul ?
GN : Oui toujours, avec un trépied et un retardateur. J’utilise un Nikon D850 et 3 lentilles fixes 50, 100 et 300.
Comment préparez-vous votre travail ? Vous apparaissez souvent dans des paysages spectaculaires.
GN : Je prépare minutieusement mes voyages, à la fois les lieux que je veux visiter, les poses que je veux prendre et les images que je veux faire. Mais arrivé sur place, le monde n’est jamais tel que je l’imaginais (rires). Alors je finis souvent par devoir improviser.
Je réalise une série par an, toujours à l’étranger, et produis une centaine d’oeuvres en 15 jours sur lesquels je travaille ensuite 6 à 8 mois.
La ville ne vous intéresse pas ?
GN : J’y reviendrai peut-être, mais la ville est tellement sale… Travailler dans la nature est infiniment plus agréable.
JYG : Nous vivons dans une civilisation de l’image. Vous avez 34 ans et êtes athlétique. Comment vous voyez-vous vieillir ?
GN : Mon corps changera avec le temps. Aujourd’hui il est stable car je suis nageur et grimpeur. J’ai hâte qu’il soit différent pour avoir un autre sujet à photographier. Je change d’ailleurs régulièrement mes exercices pour le modifier.
Est-ce à dire que dans quelques années, c’est un Gaspard Noël bien âgé et nu qui figurera dans votre travail ?
GN : Oui, je compte consacrer ma vie à l’autoportrait.
Vous arrive-t-il de retoucher votre image ?
GN : Je remarque des rides, des plis sur mon corps, mais je ne les retouche pas.
Quelle est la part de la séduction dans votre travail ?
GN : Cela fait des années que je n’essaie plus de séduire. La séduction c’est l’art de se rendre désirable à l’autre et, pour ma part, cela implique surtout de s’intéresser à l’autre, plus qu’à se mettre en valeur soi-même. Si bien que mes autoportraits n’ont pour moi aucune valeur de séduction. Quant au rapport de force qui pourrait exister dans la séduction, il m’est totalement étranger.
J’imagine qu’il vous arrive de recevoir des signes qu’une forme de séduction opère malgré tout ?
GN : Pour moi la séduction passe nécessairement par le regard. Je ne la recherche pas car c’est le corps que je travaille dans mes oeuvres. La seule séduction qui m’intéresse vis-à-vis de mon public est une séduction esthétique ou intellectuelle. La dimension charmante, voire érotique, de mon travail est un effet secondaire possible mais dont j’estime qu’elle ne concerne que l’intimité du spectateur.
Quelle serait votre définition de la beauté ?
GN : La beauté, c’est quand j’ai envie de sortir mon appareil photo, ce qui n’arrive jamais, sauf quand je pars en voyage. C’est donc peut-être tout simplement un état d’esprit.
Beaucoup d’artistes au théâtre ou au cinéma déclarent n’avoir aucun souci à se produire nus mais « qu’à la ville » ils sont pudiques, c’est également votre cas ?
GN : Absolument. Je ne retire aucun plaisir à l’idée d’être vu nu. Et l’idée de me déshabiller devant un public me paraît extrêmement gênante. Cependant, du moment où la photo est prise, je me dissocie de l’être qui apparaît sur les images.
Il y a bien des gens en ville, vous arrive-t-il d’en croiser dans la nature quand vous travaillez ?
GN : En Irlande, une grand-mère m’a vu au bord d’une falaise et est partie en criant d’indignation. J’en suis désolé car ma démarche n’est pas de provoquer. Lors d’un voyage en Islande, il m’est arrivé de croiser des randonneurs mais le caractère sauvage de l’île fait que ce n’est pas un problème. Je reviens des Canaries où la culture naturiste est très forte, donc pas de souci non plus.
Les Canaries, ce sont ces clichés que vous publiez depuis quelque temps ?
GN : Exact, j’y ai réalisé 18 000 photos dont je sortirai 117 oeuvres.
Quelle est votre prochaine destination ?
GN : À date je ne le sais pas encore, le monde est vaste…
Gaspard Noël
Gaspard Noël est artiste photographe depuis 2011 et se met en scène dans chacune de ses oeuvres. Il présente son travail sur son site et sur rendez-vous à son atelier.
www.gaspardnoel.fr / https://www.instagram.com/gaspardnoelphotograph/
Jean-Yves Goar
Conseiller en communication, Jean-Yves Goar croit aux vertus de l’image et des mots, à l’impact de l’apparence et aux mots auxquels elle renvoie. Spécialiste de la beauté et de l’esthétique médicale, il prête attention au bien vieillir, à la santé du corps et de l’esprit.