Par Jean-Yves Goar
« Le stress au travail : un enjeu de santé » est le titre d’un livre du docteur Patrick Légeron publié aux Éditons Odile Jacob. Ouvrage de référence traduit en plusieurs langues et régulièrement ré-édité, il invite entre autres à prendre en compte « une triple contrainte : celle de la performance, celle du temps et celle de l’image que l’on donne de soi ». Interview du Docteur Patrick Légeron.
JEAN-YES GOAR : Docteur Légeron, je me rappelle vous avoir entendu dire qu’il est préférable de maîtriser son environnement que de devoir courir après. Dans une civilisation de l’image et d’indicateurs de performances sans cesse relevés, est-il possible de dire qu’il est plus que jamais indispensable de se présenter au mieux de soi ?
DR. PATRICK LÉGERON : Nos environnements actuels nous soumettent à une triple contrainte : celle de la performance, celle du temps et celle de l’image que l’on donne de soi. Nous devons l’accepter mais aussi savoir prendre une certaine distance par rapport à ces contraintes, pour mieux les gérer. Prenons ainsi l’exemple du champion olympique Martin Fourcade qui confiait avant les récents JO d’hiver que gagner lui importait certes, mais qu’il n’en faisait pas une « obsession ». C’est sans doute cette attitude assez « cool » vis-à-vis de la performance qui lui a aussi permis de remporter tant de médailles ! Il nous faut donc développer un sentiment de maîtrise vis-à-vis de notre environnement et ne pas se laisser déborder. Il en va de sa santé, de son efficacité mais aussi de l’image « apaisée » que l’on donne de soi.
L’image que l’on (se) donne à voir participe-t-elle de l’estime de soi ? Et induit-elle un vécu différent de l’univers professionnel selon qu’elle est domestiquée ou nonchalante ?
DR. P. L. : Bien sûr, ce que nous sommes réellement et ce que nous voulons que les autres perçoivent de nous forment un tout. Commençons donc par nous poser une question toute simple : « quelle image est-ce que je souhaite donner de moi-même ». Il en va de notre estime de soi, c’est-à-dire de la capacité à s’aimer soi-même. Lorsque nos valeurs internes sont en accord avec nos comportements nous n’avons pas à nous engager dans une lutte inutile pour « donner le change ». Les psychologues parlent d’une attitude « ego-syntonique ». Notre énergie ne s’épuise pas et nous pouvons alors construire pleinement et sainement notre vie personnelle et professionnelle.
L’espérance de vie et l’âge de départ à la retraite ne cessent d’augmenter, et paradoxalement, de grands groupes sensibilisent leurs collaborateurs au « plan sénior » dès le début de la quarantaine. Avez-vous rencontré des « vieux » de 40 ans et comment se projettent-ils ?
Il importe en effet de rester jeune dans sa vie professionnelle. Mais cette jeunesse ne s’exprime pas uniquement par votre date de naissance ou votre apparence physique. Elle est surtout dans votre tête. L’enthousiasme, la curiosité, l’ouverture, la remise en question de soi demeurent des caractéristiques d’un esprit jeune. Ces caractéristiques doivent être entretenues et cultivées en prenant de l’âge. Malheureusement, à la différence des pays anglo-saxons, les Français ont tendance à penser qu’elles sont immuables.
Vous êtes co-auteur, avec Philippe Nasse, magistrat honoraire de la Cour des comptes, d’un rapport sur le stress au travail commandé il y a quelques années par le Ministre du travail. Peut-on dire qu’un individu soumis à un stress professionnel régulier vieillira plus vite et parfois plus mal s’il ne prend pas en charge ses conditions mentale et physique ?
DR. P. L. : C’est en e et une évidence scientifique. Le stress est la réaction que fournit notre organisme chaque fois qu’il perçoit une menace ou un challenge auquel il doit faire face. Cette réaction libère des hormones dans notre sang (la plus connue étant l’adrénaline), modifie profondément notre corps et active nos états émotionnels. C’est à la base une réaction utile car elle nous mobilise activement. C’est le « bon » stress. Mais quand cette réaction de stress devient chronique, elle use tout l’organisme tant physique que psychique. Les conséquences délétères sont bien connues : maladies cardiaques, dépression, burn-out. Nous devons donc réduire les sources de stress auxquelles nous sommes exposés, voire les éviter autant que possible. A défaut, apprenons aussi à gérer le stress ! C’est sans doute l’une des compétences les plus importantes requises dans le monde du travail d’aujourd’hui. La pratique régulière de techniques de relaxation ou de méditation, le développement d’attitudes mentales positives, une bonne hygiène de vie et la pratique d’activités physiques ou sportives augmentent la résilience et la résistance au stress et freinent donc considérablement le vieillissement de l’organisme.
Y-a-t-il un conseil à donner à un professionnel qui avance en âge ?
DR. P. L. : Dans la vie active, c’est comme à la banque, il faut savoir diversifier ses placements ! Le travail, aussi important soit-il, n’est pas tout. On doit accorder beaucoup d’importance à sa vie personnelle, surtout en avançant en âge. Savez-vous que nous sommes le pays d’Europe où le surinvestissement au travail est le plus fort, et principalement dans les professions supérieures ? Ceci explique aussi sans doute que c’est aussi en France que le stress est le plus élevé et le burn-out le plus répandu. Je pense aussi à ce que disait Voltaire vieillissant : « J’ai décidé d’être heureux, car c’est bon pour la santé ».
Quelle est votre propre définition du dynamisme ?
DR. P. L. : Au sens étymologique, c’est le mouvement. Pour moi, le dynamisme, c’est la plasticité, la capacité à s’adapter sans cesse à nos environnements de plus en plus changeants. Cela s’oppose non seulement à l’immobilisme bien sûr, mais surtout à la rigidité. Contrairement à ce que beaucoup de nos contemporains pensent, ce n’est pas l’agitation fébrile ni l’hyperactivité stérile trop souvent valorisées par notre société.
Patrick Légeron
Psychiatre, Hôpital Sainte-Anne, Paris. Fondateur de Stimulus, Cabinet de conseil sur la santé psychologique au travail. Enseignant à Sciences Po. Co-auteur des rapports sur « les risques psychosociaux au travail » pour le Ministre du travail et sur « Le burn-out » pour l’Académie de médecine. Auteur de plusieurs ouvrages dont « Le stress au travail : un enjeu de santé ».
Jean-Yves Goar
Conseiller en communication, Jean-Yves Goar croit aux vertus de l’image et des mots, à l’impact de l’apparence et aux mots auxquels elle renvoie. Spécialiste de la beauté et de l’esthétique médicale, il prête attention au bien vieillir, à la santé du corps et de l’esprit.